Nous sommes en 1992. Éloigné des courses automobiles depuis plus de 20 ans, comblé par mes nouvelles activités je ne pensais pas me retrouver embrigadé dans ce milieu…
Et pourtant !
Une connaissance m’appelle un soir: « Nous organisons La Coupe des Alpes historique et nous cherchons des commissaires ! »
Parenthèse : La Coupe des Alpes fût un rallye international fameux disputé régulièrement de 1946 à 1971 et longtemps considéré comme l’épreuve la plus sélective du championnat d’Europe des rallyes, avec de fameux pilotes comme Alex von Falkenhausen, Bernard Consten, Henri Greder, René Trautman, Jean Rolland, Rauno Aaltonen, Vic Elford, Jean-François Piot, Paddy Hopkirk, Jean-Claude Andruet, Jean Vinatier, Bernard Darniche… Que du beau monde !
« Tu as dit commissaire… n’est-ce pas une activité de professionels ? » « Non car c’est une épreuve historique en dilettante ! » « Alors d’accord ! »
Partant de Genève cette épreuve d’une petite semaine nous emmenait à Crans Montana, Cortina d’Ampezzo, Kitzbühel, Interlaken et j’en oublie. Considérant le prix des voitures de collection et les frais d’inscription équivalant à plusieurs milliers d’euros, seuls des participants aisés s’y engageaient. J’apprends que ma fonction est bénévole, mais que je serai nourri et logé dans les meilleurs hôtels d’Europe. J’accepte et prends possession d’une Subaru flambant neuve, mon véhicule de fonction. Avant le départ de la Plaine de Plainpalais, briefing des commissaires avec accréditations, T-shirts et anoraks au logo de la manifestation. C’est alors que le patron de la course m’aborde :
« Bonjour ! On vient de me dire que vous étiez un bon connaisseur de la course automobile et que vous parlez plusieurs langues. Or notre speaker vient de faire faux bond. Acceptez-vous de nous dépanner pour la présentation publique du départ ? »
J’hésite car une telle activité demanderait normalement un peu de préparation… Mais vous me connaissez : J’accepte en réclamant la bienveillance de l’organisation pour les possibles lacunes de ma prestation.
Tout se passe bien, j’ai une liste de départ des concurrents et pour chaque pièce de collection à présenter ma mémoire s’éveille, se réchauffe et même passe en mode ébuilition : Ah ! Des MG, Jaguar E-Type, Wouahou une Austin Healey 3000, une Mercedes 300 SL… Oh ! une Renault Alpine Berlinette, des Jaguar XK, Porsche 356 SC, Lancia Fulvia HF, Stratos, Ferrari 250 GT et même, je rêve… une Hispano Suiza des années 30, une pièce unique dont j’avais en son temps traduit les caractéristiques techniques. Maman… je suis de retour à la maison ! J’ai dû faire bonne impression car on m’a retiré de la liste des commissaires et promu speaker officiel pour toute la durée de l’épreuve, toujours au même tarif : bénévolat pur !
J’ai donc animé les départs et les arrivées en français, en anglais, allemand et italien. Il faut croire que j’ai été entendu car on m’a demandé de traduire chaque jour les communiqués aux participants en alemand et anglais. Oui oui toujours du bénévolat !
Après l’animation micro du départ on m’a suggéré d’accompagner l’un des commisaires un peu limité en matière linguistique mais ce qui permettait surtout aux organisateurs de récupérer ‘ma’ Subaru ! Bon, au point où on en est… J’ai donc finalement officié une journée comme commissaire ce qui m’a valu de participer à la séance du jury le soir pour étudier les réclamations.
Je précise que tout se passait dans les salons-bars VIP feutrés des 5 étoiles dans lesquels nous logions et que le whisky ne provenait pas de chez Carrefour ! A noter que je n’ai rien contre le scotch de grandes surfaces mais si je peux choisir je ne refuse pas un ‘single malt’ Glenmorangie… Au moment de passer à table pour le repas, bien sûr gastronomique du soir, le président du jury me dit qu’il me verrait bien en faire partie de manière permanente. Et une promotion, une! Le jour suivant, vous allez me dire que j’affabule, mais je me tiens à la stricte vérité… le jour suivant donc, le président du jury doit rentrer chez lui pour un problème de famille. Vous me voyez venir ? Un ami du ‘bon vieux temps’, John Gretner commissaire ‘fair play’ m’a bombardé Président du Jury. Promotion exponentielle hein ? Bon, toujours sous le strict statut du bénévolat !
Ah ! Ces séances du jury… Des concurrents millionnaires qui venaient nous faire ‘chier’ pour 2 dixièmes de seconde oubliés par un chronométreur ou pour une ‘très grave’ erreur d’un parcours mal signalé qui aurait fait passer ce concurrent de la 84ème à la 85ème place de l’étape! Et j’en passe mais pour chaque décision du jury, comme président, j’étais désigné volontaire pour informer le recourant de nos décisions. Et un Glenmorangie, un! On regretterait presque qu’il n’y ait pas eu plus de réclamations!
Pour terminer dans la bonne humeur parlons d’un participant coutumier des réclamations. Ce richissime propriétaire d’usines en Allemagne avait un puissant 4×4 tractant une remorque fermée de 10 mètres de long. A l’intérieur une Ferrari Berlinette 250 GT plus un studio avec cabinet de toilettes pour son employé qui couchait dans le véhicule qu’il ne quittait jamais. Ce motor-home avait la climatisation… et je pense méchamment qu’elle était à l’origine destinée plus à la Ferrari qu’au ‘louffiat’ qui chaque jour abaissait la rampe arrière, laissait descendre la pièce de collection, procédait aux contrôles : eau, huile, essence et bien sûr ‘toilette’ du bolide. Il chauffait le moteur et, à l’arrivée du proprio il lui tendait son casque, ses gants et les clés de cette superbe voiture. Parfois notre homme d’affaires était à la bourre car il avait vite fait, entre l’arrivée du soir et le départ du matin, un aller et retour en Allemagne avec son avion privé… et moi, comme un con, speaker quadrilingue, commissaire, juré, président du jury… 100% bénévole. Mais ne dit-on pas que quand on aime on ne compte pas ? De plus ce genre de souvenir n’a pas de prix!