Le ressort !

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Heini Mader

Heini Mader est un personnage incontournable du sport automobile. Je vous en parlerai plus longuement prochainement. Il a travaillé comme mécanicien pour trois ‘Jo’ disparus : Schlesser, Siffert et Bonnier ! Toute une histoire. Aujourd’hui il m’est revenu une anecdote qui est digne de rejoindre ma page « En deux mots ! »

Elle ne figure certainement pas dans les livres d’histoire du sport automobile ! Du reste j’ai oublié dans quelle course il faut la situer. Je vous la livre comme Heini me l’a racontée alors que nous revenions ensemble d’une course sur le Circuit d’Auvergne :

Bonnier s’arrête au stand pendant les essais et pour la énième fois il se plaint d’un problème de tenue de route. Le Suédois et l’Allemand se parlaient en français. Je vous laisse imaginer les problèmes de compréhension !

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Jo Bonnier

Bonnier : « Le ressort avant droit est trop dur ! » (Il voulait parler de la suspension, bien sûr). image.png
Intervention du mécanicien Mader. Nouvelle tentative de faire un temps. Nouvel échec. Nouvel arrêt : « C’est toujours le ressort qui est trop dur ! »

Et Mader excédé pète un plomb et apostrophe Bonnier :

« Le seul ressort qui est trop dur c’est celui de l’accélérateur ! »

 

Il paraît que le pilote suédois n’a rien répondu, s’est ‘sorti les pouces’ et a finalement réalisé un temps convenable! 

 

 

La mort en direct !

Avoir été professionnel du sport automobile dans les années 60/70 implique une confrontation à la mort de plusieurs pilotes, certains de bons amis : Jo Siffert, Jo Bonnier, Bruce McLaren, Mike Parkes, Jo Schlesser, Rob Slotemaker, Jean-Louis Lafosse, Herbert Muller. Mais aussi Lorenzo Bandini que j’ai vu brûler à la Chicane dans sa Ferrari en feu à Monaco en 1967, Jochen Rindt, François Cevert, Piers Courage, Jim Clark, Ignazio Giunti, Carel Godin de Beaufort, Lodovico Scarfiotti, la liste est longue.

Mais vivre la mort en direct laisse des traces, croyez-moi! Sans être morbide ou sensationnaliste je vous fais partager deux tragiques moments de ma vie, plus terribles que les autres :

Brno 21 mai 1972

Nous faisons courir deux Fiat 128 Groupe 2. Pendant les essais, au stand, je discute avec Mike Parkes en attendant le passage de nos voitures.

Il pleut, il pleut très fort…

On entend un 4 cylindres double arbre (je précise pour les connaisseurs qui comme moi apprécient le bruit caractéristique d’une Alfa !) tout en haut dans les tours, à fond de 5ème (plus de 220 à l’heure). Depuis le stand nous ne voyons rien (heureusement vous allez comprendre) mais le moteur coupe d’un coup et on entend alors le ssssssshssssh des pneus qui glissent sur le sol détrempé. Puis un choc violent, un bang énorme, sec, court… et plus rien. Je m’apprête à aller voir mais une main puissante sur mon épaule m’arrête. «  N’y va pas… il est est mort ! »

Je suis surpris par cette affirmation de Mike mais ce vieux briscard des circuits avait tout de suite compris. Il savait qu’un angle négatif entre deux constructions en fin de ligne droite des stands était un piège mortel avec l’aquaplaning.

Des images bouleversantes pour moi retrouvées sur Internet!

Je connaissais bien le pilote Luigi Rinaldi et ses potes, des gais lurons italiens pilotes des fameuses Alfa GTA 1300 Groupe 2. Nous avions encore plaisanté le soir avant…

 

Restons en 1972 aux 24 Heures du Mans.

Nous avons deux Ferrari Daytona aluminium en course et je dirige le stand : surveillance des chronos, gestion du nombre de tours avant ravitaillement, discussion de stratégie avec M. Georges Filipinetti en personne… bref le boulot habituel d’un Directeur d’écurie de course !

Dimanche matin 8 heures 15 une des deux Ferrari ne passe plus. En ces temps anciens les nouvelles ne circulaient pas rapidement et je me suis souvenu qu’un menuisier qui avait fabriqué un pupitre pour notre stand m’avait dit qu’il était responsable d’un département à la direction de la course et que si j’avais un problème je n’avais qu’à venir le voir. Je vais donc aux informations…

Je passe devant le stand voisin de l’Ecurie Bonnier qui fait courir Gijs Van Lennep et Jo Bonnier sur la Lola N° 8 aux couleurs du fromage ‘Switzerland’. Heini Mader le fameux motoriste qui était alors chef mécanicien du pilote suédois me dit que la Lola aussi ne passe plus. Je continue vers la tour de la direction de course, m’annonce, monte l’escalier et entre dans la salle de contrôle dotée de caméras. La situation me paraît tout de suite très grave mais on me laisse tout de même voir et écouter les échanges radio. Je m’en serais bien passé car il s’agissait d’un accident entre la Lola n° 8 et la Ferrari N° 35 et j’entends cette terrible nouvelle : « Pilote décédé ». Mon cœur atteint 8000 tours car je ne sais pas duquel il s’agissait ! L’horreur, puis je vois Florian Vetsch qui a pu sortir sans dommages de la Ferrari en flammes et rapidement j’ai la confirmation que c’est ce bon vieux Jo qui vient de terminer de la pire manière sa longue carrière de pilote.

Je sèche mes larmes et en passant devant le stand de Bonnier Racing je vois Marianne la femme de Joakim. Je détourne pudiquement la tête de manière à éviter son regard inquiet. Elle n’apprendra l’horrible réalité que 15 minutes plus tard car selon leur habitude les organisateurs distillaient au compte goutte les informations sur ce terrible accident. Moi je savais qu’elle était veuve et j’étais très malheureux !

 

Avec mes affectueuses excuses pour vous avoir importunés avec des histoires pas très drôles. Mais sachez qu’elles m’ont marqué au point que j’ai quitté le sport automobile à la fin de cette Annus horribilis à fin 1972! Et on ne m’a jamais revu sur un circuit!